FUKUSHIMA (suite13) LAIT, EPINARDS et RADIOACTIVITE
Samedi 19 mars. 17H50. Brusquement, tous les regards se sont tournés aujourd'hui vers le lait, l’eau et… les épinards, après de premières annonces officielles (1) sur la présence de radioactivité dans ces aliments. On n’ose écrire une plaisanterie facile du genre « y’a de l’iode dans les épinards » car ce genre d’annonce, non seulement dans la zone d’évacuation non loin de Fukushima mais bien au-delà – jusqu’à Tokyo … peut plonger les citoyens-consommateurs dans un réel désarroi. Que la radioactivité touche la nourriture et l’impact psychologique monte d’un cran. Cela peut sembler autrement plus grave que l’annonce de poussières invisibles sur ses vêtements ou de gaz contre lesquels on peut essayer de se prémunir en restant calfeutré… Le gouvernement japonais va désormais devoir mettre en œuvre toute sa force de persuasion pour qu’aucune panique ne gagne. Et il a immédiatement réagi en comparant les doses éventuellement ingérées (par de grandes quantités de lait ou d’épinards) à la dose reçue lors d’un scanner.
Dès le 16 mars, explique officiellement l’AIEA, la sûreté nucléaire japonaise avait recommandé aux autorités locales de distribuer des pastilles d’iode (stable) aux évacués de la zone des 20 km autour de la centrale de Fukushima. « Ces pastilles d’iode ainsi que du sirop (pour les enfants) ont été apportées aux centres d’évacuation » précise l’Agence basée à Vienne. On ne peut qu’espérer, faute de vérification sur le terrain, que tous les évacués ont pu y avoir accès. Il est clair, en effet, que les premiers rejets radioactifs (et ce, dès la première explosion) ont dû être essentiellement de l’iode131 et du césium137, qui se sont échappés sous forme de gaz.
Mais c’est une autre annonce, pourtant nécessaire, qui a mis aujourd’hui très mal à l’aise : le ministère de la santé, du travail et de l’aide sociale a « donné l’ordre d’arrêter toute vente de produits alimentaires en provenance de la préfecture de Fukushima ». Cela donne évidemment l’impression que cette région de 13782 km2, comptant habituellement plus de deux millions de personnes, est mise à l’index. Et on peut craindre les effets ravageurs du doute – est-ce dangereux ? Ne l’est-ce pas ? Qui croire et à qui se fier ? Les autorités sanitaires vont avoir du travail – et cela ne fait que commencer. Outre les précautions sur les aliments, c’est désormais l’examen sur le terrain des sols, des forêts, des animaux etc. qui va devoir être envisagé dans la région. La FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) pourrait fournir un avis technique et les mesures appropriées à moyen et long terme… a déjà suggéré l’AIEA.
Tâche dont on subodore qu’elle va être longue et difficile. Car la caractéristique désormais connue des retombées radioactives, c’est que ce n’est PAS simple ! Se forme ce qu’on appelle une « peau de léopard ». En clair, à certains endroits, il y a une radioactivité forte ou moyenne, à d’autres faible ou quasi-inexistante. Cela vient du fait que la radioactivité (sous forme d’aérosols, mais aussi de fines particules, outre les gaz…) ne s’étend pas de façon régulière sur une surface. Selon les vents, leur force et leur direction, selon qu’il pleut ou pas, elle se concentre plutôt ici ou plutôt là. Travail de bénédictin en perspective pour déterminer où cela pourrait se révéler dangereux et où cela ne l’est pas. Il faudra des mesures précises et clairement localisées pour rassurer la population – voire pour que les produits de l’agriculture redeviennent certifiés « non radioactifs ».
Pour compliquer le tout, il va falloir préciser désormais quels sont exactement les éléments radioactifs que l’on retrouve. On a dit plus haut que depuis le début des problèmes à la centrale, de l’iode131 et du césium137 ont été émis. Le premier qui a une demi-vie de 8 jours (au bout de 8 jours, il n’en reste plus que la moitié, huit jours plus tard la moitié de la moitié et ainsi de suite…) pourra relativement vite disparaître, une fois les émissions stoppées – ce qui n’est toujours pas le cas. Mais le deuxième a une durée de vie de 30 ans. Et il a pu être émis en fines particules, notamment lors de l’explosion de l'unité n°3 (celle qui présentait un panache noir très vertical sur les images télé). Rappelons par ailleurs que l’on continuait encore à voir ces dernières heures un panache de fumée (confirmé par les officiels de la NISA, agence de sûreté nucléaire et industrielle japonaise) émerger de trois unités de la centrale (n°2, n°3, n°4). Question : que transportent ces fumées ? De l'uranium, du plutonium, du strontium... Et il y a… tout ce qu’on ne voit pas ! Ainsi, on a appris que des trous avaient été volontairement percés sur deux autres unités, les n°5 et n°6, dont on n’a pas beaucoup parlé jusqu’à présent lors de cette catastrophe. Mais elles connaissent elles aussi un problème de réchauffement, et pour éviter des explosions hydrogène comme celles qui ont fait voler en éclats les toits des unités n°1 et n°3, l’opérateur a préféré laissé évacuer directement la pression (et de la vapeur radioactive). Histoire de ne pas se retrouver avec une énième situation catastrophique à gérer. Ces explosions seraient particulièrement malvenues à l’heure où tout est mis en œuvre (mais n’a pas encore abouti) pour rétablir le courant et relancer – s’ils ne sont pas complètement HS pour diverses raisons (tuyaux bouchés ou cassés, fils cassés provoquant des courts-circuits etc.) – les systèmes de refroidissement des réacteurs. Pour l’instant, l’opérateur en est encore à injecter de l’eau de mer pour noyer, au moins partiellement, les cœurs des réacteurs***. On sait les efforts surhumains pour s’assurer aussi que les piscines (contenant des combustibles usagés, en particulier la piscine 3 et la piscine 4 ne se vident pas. Au-dessus de ces zones, l’émission radioactive a pu être tellement forte que les pilotes d’hélicoptère ne pouvaient, en gros, pas rester plus de 10 secondes, ce qui communiquait une dose équivalente à un an pour un travailleur soit 20 mSv (2).
Décidément prolixe ce 19 mars, l’AIEA présente aussi pour la première fois des graphiques très « parlants » (http://www.slideshare.net/iaea/technical-briefing-on-ther... ) montrant comment les émissions radioactives ont surgi à chaque fois qu’il y a eu un problème spécifique – par exemple le 15 mars, après un premier feu dans la piscine de l’unité 4, un deuxième feu + explosion dans le même endroit, ainsi qu’après l’explosion dans le réacteur n°2 – non visible sur les écrans de télévision, mais qui a très certainement causé la brèche au bas de l’enceinte du réacteur. Ou encore le 16 mars, en provenance du réacteur n°3, contenant du MOX (combustible dans lequel sont mélangés uranium et plutonium), dont l’enceinte a été endommagée. En clair, sur le graphique, on voit des pics d’émission radioactive, mais certains ne sont toujours pas expliqués (l’ensemble des pics du milieu). Ce graphique de l’AIEA a cependant cela d’étonnant (qu’il faudra expliquer bientôt) qu’il ne commence pas dès le début de la catastrophe – à savoir à partir du 12 mars, qui a vu la première explosion de l’unité n°1, et qu’on ne voit pas non plus le moment de l’explosion dans l’unité n°3. N’y avait-il pas encore de mesures ? On en doute, car TEPCo (l’opérateur de la centrale) rappelle dans ses communiqués que sept balises de mesure ont été installées en périphérie de la centrale et aussi que, très vite, des « voitures pour faire le monitoring de la radioactivité » ont été utilisées.
A ce stade, l’enchaînement précis de ces accidents en chaîne à la centrale reste encore à faire. Est-ce cela que les opérateurs baptiseront « retour d’expérience » ? Une chose sera à regarder attentivement (pour le retour d’expérience en France, par exemple à la centrale de Fessenheim ou pour les installations de Cadarache) : ce qu’a provoqué le séisme lui-même sur cette centrale non prévue pour encaisser un n°9 sur l’échelle de Richter (mais plutôt entre 7 et
. Il est fort possible que dès la survenue de ce séisme, un grand nombre de tuyauteries ait été déformées ou cassées. Le tsunami, de son côté, ayant ensuite ravagé les arrivées d’eau. A l’heure où a été tiré un câble pour réalimenter la centrale en électricité, on peut se demander si l’ensemble du dispositif nécessaire (tuyauteries, moteurs divers…) à cette réalimentation « normale » en eau de refroidissement (et non un noyage par eau de mer) sont encore assez en état pour redémarrer. On croise les doigts pour que ce soit le cas et que la situation la plus critique ne survienne pas : à savoir une rupture d’une (ou de plusieurs) cuve(s) contenant directement le combustible et que le (des) cœur(s) soit vraiment mis à nu. La course contre la montre continue. Et on pense avec tristesse à tous ces évacués dans des gymnases, des écoles et autres lieux d'accueil qui ne pourront peut-être pas rejoindre leur maison avant... un certain temps.