Nos journaux déforment l’information médicale pour créer des “scandales” de toute pièce
Le 05 aout 2011, le journal France-Soir titre “Anorexie : De plus en plus d’enfants concernés : les cas d’anorexie se multiplient chez les enfants. Les 5-12 ans seraient les plus touchés par cette maladie“. France-Soir dit tenir cette information du journal Le Figaro, une véritable source médicale, qui moins racoleur titre plus laconiquement “GB: soignés dès 5 ans pour anorexie“. Si ces deux articles ne sont, sur internet, pas signés, C. Gicquel, signe le sien dans le journal Le Parisien : “Des enfants de 5 ans soignés pour anorexie au Royaume-Uni“. C. Gicquel débute son article par des chiffres inquiétants : “une centaine d’enfants âgés de 5 à 7 ans ont été soignés pour anorexie“, ”Près de 600 avaient moins de 13 ans, avec 98 petits patients âgés de seulement 5 à 7 ans“, puis met en parallèle la cause (supposée) de ces troubles survenant dès 5 ans, “le culte de la taille 0“ (équivalent de la taille 30 en France) dénoncée par de nombreuses associations“: “les enfants idéalisent les mannequins et les célébrités exposés dans les magazines et à la télévision et finissent par développer une réaction malsaine“. Vient ensuite l’interview de Susan Ringwood (extrait d’un interview prélevé dans à un journal anglais d’ailleurs cité, le Sunday Telegraph), dont on ne nous dit pas qui elle est, mais qui déclare “les petites filles voient les images de femmes extrêmement minces dans les magazines et pensent que c’est ce à quoi elles doivent ressembler“, résultat, “elles s’affament pour garder un corps d’enfant”. Voici donc un bon article “santé” traité par nos journalistes “santé” nationaux : un titre accrocheur, des chiffres alarmants, un coupable idéal, de quoi alimenter une bonne discussion de comptoir. L’histoire est lancée et les hebdomadaires mettront à nouveau une petite couche en fin de semaine, comme l’Express sous la plume fertile de Laura Thouny qui titre” Victimes de l’anorexie à l’âge de cinq ans“.
Info ou intox?
Un article du British Medical Journal dénonce ces informations fallacieuses.
Toute l’histoire est partie de deux journalistes du Telegraph qui ayant obtenu les données du nombre d’enfants traités pour des “troubles de l’alimentation” en angleterre, ont assimilé, pour leur article, ces “troubles de l’alimentation” à l’anorexie, évidemment causée par les images de mannequins et de peoples, une orientation plus vendeuse médiatiquement. Cet article du Télégraph s’intitulait “Des centaines de pré-adolescents souffrent de troubles alimentaires”. Un titre qui, en traversant la manche, se transformera sous la plume des journalistes français, par exemple en “Des enfants de 5 ans soignés pour anorexie au Royaume-Uni“, encore plus accrocheur mais surtout encore plus faux. Peu importe, en santé, il faut inquiéter, c’est ce qui marche, quitte à s’écarter de la vérité.
C’est ce qu’explique dans l’article du British Medical Journal, le Dr Raquel Bryant Waught, psychologue, à la tête du service des troubles de l’alimentation à l’hôpital Great Ormond Street de Londres : “Il est facile de voir comment ces choses ont été embrouillées et l’information est alors sortie sous une forme trompeuse. Il est très improbable qu’un petit de 5 à 7 ans présente une anorexie“; “Un enfant de cet âge peut avoir un faible poids et une difficulté à s’alimenter, mais pour d’autres raisons” ajoute t-elle ,”une difficile histoire médicale, des problèmes gastrointestinaux, des problèmes à se nourrir liés à des problèmes médicaux ou à des facteurs psychologiques. Ces enfants ont des difficultés à s’alimenter mais ils n’ont pas d’anorexie, ni de boulimie.“
Difficile d’être à la fois journaliste et médecin. Cité également dans l’article du British Medical Journal, le Dr Mark Berelowitz, médecin psychiatre intervenant auprès des enfants et des adolescents, le constate amèrement : “Quand vous sortez un chiffre comme une multiplication par trois (du nombre d’anorexies, NDRL), vous devez vous poser la question de la qualité de vos sources : si vous projetez ce taux d’augmentation, vous obtenez un chiffre absurde”, visiblement pas suffisamment absurde pour nos journalistes métropolitains. Et à Mark Berelowitz de conclure “Je pense que si le Sunday Telegraph avait demandé au collège royal de Pédiatrie ou même à n’importe quel service de médecine, combien de jeunes patients avaient ce trouble (anorexie), nous aurions des chiffres très différents”. Cette remarque est évidemment applicable à nos quotidiens et hebdomadaires nationaux qui ne se sont pas non plus posé cette question. Pensez-vous que d’autres nombreux articles “médicaux” soient écrits de la sorte?
Source
Anorexia in young children : press coverage was flawed
Margaret McCartney
BMJ 2011; 343:d5072