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http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/10/31/le-mot-crise-et-la-derive-keynesienne_1595751_3232.html#xtor=RSS-3208« 31.10.11 | 09h16 • Mis à jour le 31.10.11 | 09h16
par Philippe Genestier, chercheur en sciences sociales
Au bout de quarante ans de politique keynésienne appliquée sans discontinuité (voir sur cet aspect le numéro Aménagement urbain et transition post-keynésienne de la revue Métropoles, 2008), il semble que les pays occidentaux soient arrivés au bout du chemin. Il faut bifurquer, sous peine de basculer dans le ravin. Comment en est-on arrivé là ?
Depuis le double choc pétrolier du milieu des années 1970, un grand processus historique s'est développé, de manière continue, parfois lentement, parfois par de brusques accélérations. Quelle est la nature de ce processus ? Il s'agit d'un basculement du monde, c'est-à-dire un changement des lieux de production et d'accumulation de la richesse. De la seconde moitié du XIXe siècle jusqu'aux années 1970, un quart des hommes, les Occidentaux, se partageaient les trois quarts des richesses, consommaient les matières premières en proportion et, hormis l'importation à bas prix de ces dernières, commerçaient principalement entre eux. Depuis les chocs pétroliers, suivis des délocalisations industrielles et de la financiarisation, ce ratio très déséquilibré est en train de changer.
Les délocalisations et la financiarisation ont été rendues possibles par des innovations technologiques majeures, à la source de la troisième révolution industrielle : l'informatique et les communications électroniques, annulant le coût et le temps du transfert d'informations. De surcroît, la miniaturisation des produits à haute valeur ajoutée et la containérisation rendent très modeste le coût de la circulation des marchandises d'un bout à l'autre de la planète. S'ajoute à cette tendance découlant des progrès techniques, le fait que, face à ce déplacement de la production de richesse, il a fallu maintenir un Etat-providence dispendieux mais fondement de la légitimité politique et outil de fidélisation de l'électorat, de sorte que les pays occidentaux sont entrés dans une spirale d'élévation des contributions sociales reposant sur le travail. Le rendement des investissements productifs y est dès lors devenu de moins en moins motivant, laminant le taux de croissance, accélérant les délocalisations et la désindustrialisation.
De cette orientation générale de l'économie, il résulte un basculement de l'axe de rotation de l'activité productive sur la planète. Ce basculement fut longtemps et est encore aujourd'hui désigné par le mot "crise". Or, ce mot nous piège : nous incitant à considérer ce basculement comme un dérèglement temporaire, il nous empêche de l'appréhender comme un processus de fond. Ce faisant, il conduit à la mise en œuvre d'une politique de correction contra-cyclique de court terme. Ainsi, les gouvernants, de droite comme de gauche, se sont emparés avec avidité de la théorie keynésienne. Ils y trouvaient des recettes simples (quasi intuitives), répondant aux revendications sociales et qui confortaient leurs prétentions à maîtriser l'économie. Mais le prix à payer de ce confort intellectuel et électoral est la méconnaissance du fait essentiel selon lequel le keynésianisme n'a de validité que pour inverser une tendance passagère, n'est pertinent que vis-à-vis d'un accident de parcours dû à une insuffisance de demande et de monnaie par rapport à l'offre.
Or, la situation présente est à l'opposé de cela : depuis une génération, les économies occidentales sont entrées dans une phase durable d'inadéquation de leurs productions et des prix par rapport aux besoins, aux attentes et aux moyens de leurs consommateurs. Ignorant cette tendance, les pouvoirs publics occidentaux ont financé par l'endettement leurs investissements dans les infrastructures, le paiement de leurs fonctionnaires et leurs dépenses sociales. Aux Etats-Unis, c'est l'endettement des ménages, incité par les pouvoirs publics, qui a maintenu le niveau d'activité. Ces Etats ont ainsi mis en place un keynésianisme de tous les jours et au long court, ce qui est une hérésie au regard de la théorie keynésienne elle-même.
Le keynésianisme, en effet, est une théorie qui affirme la vertu de l'endettement et l'efficacité du soutien à la consommation pour faire face à un moment de désajustement transitoire. Si cette théorie fut et reste – il suffit de voir la place qu'il occupe en France dans le programme du Parti socialiste ou dans le Grand emprunt lancé par l'actuel gouvernement – séduisante et a priori adaptée à une situation de crise, elle est inopérante quand il s'agit d'un mouvement de fond. Ce dernier se caractérise par l'appauvrissement relatif mais structurel des pays occidentaux. Par conséquent, le keynésianisme s'avère complètement inapproprié, alors qu'une lecture de la situation selon les termes du bon vieux mercantilisme, longtemps raillé par les progressistes, serait plus pertinente.
Telle est actuellement, semble-t-il, la pierre d'achoppement entre la France et l'Allemagne : cette dernière s'est ralliée il y a plus de dix ans à une vision économique du monde où la logique productive prévaut, où une économie de l'offre s'impose. Ce qui l'a conduit à s'adapter aux contraintes et à améliorer sa compétitivité. A l'inverse, la France, crispée sur une conception voulant faire prévaloir la volonté politique et paralysée par une vision antagonique d'elle-même, trouve dans la défense de la dépense publique et dans le soutien à la consommation les justifications l'incitant à nier ces contraintes et à remettre à des lendemains se faisant attendre depuis quarante ans les mesures qui permettraient à la production de retrouver un dynamisme ; un dynamisme pourtant nécessaire pour que, in fine, l'Etat-providence puisse se maintenir. »
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Il faut comprendre à travers cet article que la « crise » actuelle n'est en fait pas une crise temporaire mais une situation durable de changement de paradigme.
Il s'agit donc de passer de « la vertu de l'endettement et l'efficacité du soutien à la consommation » à la vraie productivité durable (industrie, PME, état, services etc.) basée sur le mercantilisme.
Moi, je veux bien. Cependant la globalisation au nom de la productivité a ses limites et chacun va en subir les effets dans les mois qui viennent. Je m'explique...
Les inondations à Bangkok et sa région ont un effet totalement inattendu pour le monde entier : les (rares) usines de fabrication des disques durs sont à l'arrêt, noyées sous 2 ou 3 mètres d'eau et ne pourront redémarrer la production qu'en janvier minimum SI l'eau se retire, ce qui n'est pas le cas actuellement (elle a tendance à monter encore). Ce ne serait pas grave si d'autres usines dans le monde pouvaient prendre le relais. Hé bien ce n'est pas le cas : la quasi totalité des disques durs vendus dans le monde entier (pour particuliers comme pour les entreprises et les serveurs) sont fabriqués dans la région de Bangkok.
Nous sommes donc dans une situation ou la globalisation va générer – à l'inverse – une importante pénurie. Et cela engendrera une double peine : non seulement les disques durs déjà fabriqués ou à venir vont être bien plus chers (300% d'augmentation actuellement dûs à la spéculation sur la pénurie), ce qui impliquerea que les configurations vendues par les fabricants d'ordinateurs seront plus chères, mais les fournisseurs informatiques de services (internet, stockage – vous savez, le cloud …) utilisant des quantités très importantes de serveurs vont devoir diminuer leur qualité de services car ils ne remplaceront pas les disques durs défaillants (il n'en auront pas la possibilité !) donc engendrer des pertes (données, coupures etc...) qui nous seront indirectement facturées via l'augmentation du coût des services.
Ceci n'est qu'un des nombreux exemples des effets pervers de la globalisation. Un autre exemple ? Plus proche de nous pharmaciens, depuis que Sanoffi a fermé son usine française de production de paracetamol (la poudre mère), il n'existe plus qu'une seule usine au monde (dans l'europe de l'est je crois) capable de fabriquer de la poudre mère de paracetamol. Prions pour qu'il ne lui arrive rien : ni inondations, ni incendie, ni boues rouges, ni tchernobyl etc. Sinon...
Globalement, nous avons donc 100% de chances de perdre dans les années à venir : soit directement en argent ce que la globalisation va engendrer comme coût de défauts, soit en qualité de vie en conservant les bases du keynésianisme. Pas très réjouissant...
Je dis donc que le mercantilisme a aussi ses limites déjà largement atteintes et ce n'est pas parce que les dirigeants de l'europe sont ultra-libéral que c'est la panacée. Une solution : la révolution, la peste, une guerre mondiale ...