Mediator : la Cour de Cassation rejette la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Servier
Paris, le lundi 27 août 2012 – Le 14 mai dernier s’ouvrait à Nanterre dans l’effervescence ce qui aurait pu être le « premier procès de l’affaire Mediator ». Mais le scénario tourna court : une semaine plus tard, le juge Isabelle Prévost-Déprez considérait comme recevables les arguments développés par la défense du laboratoire Servier, concernant le caractère éventuellement inconstitutionnel de la possibilité de mener parallèlement deux procédures relevant des mêmes faits.
Peut-on être poursuivi devant deux juridictions pour les mêmes faits ?
Petit rappel : les laboratoires Servier sont l’objet d’une information judiciaire instruite à Paris, tout en ayant été cité à comparaître devant le tribunal de Nanterre par plusieurs centaines de plaignants pour « tromperie aggravée sur les qualités substantielles du médicament » et défaut d’information « sur la nature amphétaminique du Benfluorex (…) et ses effets indésirables ». En choisissant cette voie judiciaire, les patients ayant pris du Mediator espéraient contourner l’un des principaux défauts de la procédure parisienne : sa lenteur. Cependant, la citation à comparaître répond à des règles spécifiques : elle impose aux plaignants d’apporter la preuve de leurs accusations. Par ailleurs, en raison de la concomitance de l’instruction parisienne, il pourrait être impossible pendant l’audience de produire des pièces couvertes par le secret de l’instruction. Des obstacles qui avaient été considérés comme des entraves au droit de la défense par les avocats du laboratoire Servier et qui avaient soulevé la question de la conformité à la constitution de cette possibilité de double procédure (une possibilité unique en Europe). Le juge Isabelle Prévost-Déprez avait d’ailleurs estimé sérieuse la démonstration puisqu’elle avait décidé de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ainsi soulevée à la Cour de Cassation, chargée de déterminer si le sujet devait être présenté au Conseil constitutionnel.
La Cour de Cassation : juge et partie ?
La Cour a rendu sa décision ce 24 août : à son sens la possibilité de mener parallèlement deux procédures distinctes à propos des mêmes faits, autorisée par les articles 658 et 659 du Code de procédure pénale ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et « plus précisément au principe de respect des droits de la défense ». Aussi, la Cour de Cassation considère-t-elle inutile de renvoyer la QPC devant le Conseil constitutionnel. Cette position n’est guère surprenante. La Cour de cassation a en effet déjà statué en la matière, notamment à propos de l’affaire Mediator. A deux reprises, le regroupement des deux procédures lui a en effet été demandé (par le parquet d’une part et par Servier d’autre part) : il a été à chaque fois refusé. Il paraissait peu probable qu’interrogée une troisième fois, la Cour se dédise et admette qu’une question « fondamentale » puisse être soulevée. L’exemple révèle d’ailleurs en creux les failles de la procédure de la QPC au cours de laquelle la Cour de Cassation pourrait être amenée à contredire sa propre jurisprudence... ce qui paraît peu probable.
Un verdict un peu prématuré pour Marisol Touraine
Concernant l’affaire Mediator, le rejet de la QPC par la Cour de Cassation ouvre la voie à une relance du procès de Nanterre. Les représentants des « victimes » s’en sont grandement félicités tout au long du week-end. Charles-Joseph Oudin, défenseur d’un grand nombre de patients s’est ainsi réjoui que tout soit réuni « pour qu’un procès puisse enfin avoir lieu ». Cependant, on le sait, ce point de vue n’est pas unanimement partagé : on comptait en effet au printemps parmi les défenseurs des patients certaines voix considérant comme contre productive la concomitance des deux procédures. Les laboratoires Servier, quant à eux, prenant acte de la décision de la Cour de Cassation, ont indiqué « que d’autres moyens sont en suspens devant le tribunal correctionnel pour remédier à une situation d’atteinte aux droits de la défense ».
Enfin, rappelant la dimension également politique de l’affaire, Marisol Touraine, ministre de la Santé, ignorant superbement Montesquieu, y est allé de son commentaire, révélant par ses propos qu’à son sens l’issue du (des) procès ne fait aucun doute puisqu’elle a espéré que les « différentes procédures engagées (…) aboutiront à une issue rapide et équitable, notamment une indemnisation juste pour les victimes du Mediator ». Prochaine étape cruciale de ce feuilleton judiciaire : le 14 décembre, date à laquelle sera fixée par le tribunal de Nanterre, la reprise du procès.