Selon le Professeur Claude Le Pen, qui a analysé le fameux rapport Gallois, l’indice de production industrielle en France est passé de 100,8 en 2000 à 89,3 en 2010 (-11%) pour l’ensemble des industries manufacturières. Pour l’industrie pharmaceutique, dans le même temps, il a progressé de 60% (70,3 à 118,
.
Sur la même période, les pertes d’emploi de l’industrie française s’élèvent à 18% de ses effectifs tandis que l’industrie pharmaceutique a augmenté les siens de 13%.
Le déficit de la balance des échanges extérieurs est passé de – 4 milliards d’Euros en 2000 à -52 milliards d’Euros en 2010 ; l’industrie pharmaceutique continue d’afficher un solde positif qui est passé de +2,3 milliards d’Euros en 2000 à +4,2 milliards d’Euros en 2010.1
Que croyez-vous qu’il arrivât pendant ce temps ?
Un ciblage a été délibérément orienté par les gouvernements successifs d’abord contre le médicament et, désormais, contre tous les produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux).
Cette année, les mesures ont été de deux ordres :
législatives et réglementaires ;
financières.
1 Le Pen C. IMS PharmaNews, Novembre 2012.
Elles ont touché tous les acteurs de la chaîne : industriels, experts, praticiens, et patients aussi.
Aux plans législatif et réglementaire la loi du 29 décembre 2011 (loi Bertrand), née d’une subite suspicion systématique, génératrice de décrets et de nombreux arrêtés, n’en finit pas de compliquer l’environnement professionnel jusqu’à celui des associations de patients et des sociétés savantes.
L’Afssaps a été sacrifiée sur l’hôtel d’une nouvelle virginité (jusqu’à quand ?) et remplacée par l’ANSM, avec une nouvelle gouvernance, après une période d’épuration. La Commission d’AMM vit ses derniers jours sous contrôle. De très nombreux experts internes, vierges de tout lien direct ou indirect avec le secteur santé privé, sont en cours de recrutement.
La HAS n’est pas de reste. La Commission d’Evaluation Economique et de Santé Publique (CEESP) s’est mise en ordre de marche. Les industriels donnent l’impression de ne pas trop s’y intéresser. Si tel est le cas, le réveil pourra être traumatique, car, même si l’évaluation de la CEESP se matérialisera par un avis consultatif, on va vraisemblablement passer d’un système tarifaire à un système de planification économétrique. Les entreprises doivent se préparer à un changement structurel des règles du jeu dans les prochaines années.
Autre sujet d’actualité venant de la HAS : l’ITR (Indice Thérapeutique Relatif) va-t-il remplacer à la fois le SMR et l’ASMR ? Au motif, notamment, que seules les études contre comparateurs actifs (bien choisis) doivent désormais être prises en compte, avec pour objectif évident d’apurer peu à peu le nombre de produits pris en charge (et donc de diminuer les coûts) en tirant le curseur vers le haut. Exit les études contre placebo, le SMR, et la quantité d’effet. Gloire à un super ASMR, juge unique. L’affaire parait toutefois beaucoup plus compliquée et moins belle qu’il n’y parait à première vue, aussi bien au plan du réaménagement des textes réglementaires que de l’évaluation. Nous ne parierons pas sur l’ITR.
ANSM, HAS, et CEPS peuvent désormais imposer des études post-AMM ou postinscription. ANSM et CEPS ayant capacité d’infliger des pénalités voire des condamnations.
Au plan financier, le PLFSS 2013, récemment adopté, se charge de la besogne (comme les précédents). Il réclame 1 756 millions d’Euros d’économie sur les soins de ville dont notamment :
876 millions pour les médicaments ;
100 millions pour l’optimisation de leur tarification ;
95 millions de mesure de convergence de prix ;
50 millions de « mise en cohérence » ;
26 millions par la réévaluation du SMR (et l’indépendance de la HAS ?) ;
75 millions de basse de prix pour les DM.
A cela se rajoutent 605 millions d’Euros à trouver sur « l’efficience des prescriptions » qui concerne :
La « maîtrise médicalisée » (505 millions) ;
« L’efficience sur la prescription des médicaments d’exception » (15 millions) ;
Les actions de « gestion de risques » (ici, contrôle de la rétrocession) par les ARS (25 millions).2
2 Zambrowski JJ. Gers. Le Marché Pharmaceutique en France. Octobre 2012.
De surcroît, selon l’expert économiste Jean-jacques Zambrowski, on aurait tort d’oublier l’impact supplémentaire de deux mesures visant « l’amélioration de la politique des achats hospitaliers » et les révisions itératives des « listes en sus ».
Et l’expert de conclure avec pertinence : « le gouvernement entend faire porter sur le médicament près de la moitié des économies que doit réaliser l’assurance maladie, alors qu’il ne représente que 15% des dépenses »3.
Comme le souligne fort justement le Professeur Claude Le Pen : « Ce n’est pas tant le fait que l’industrie soit fortement régulée qui pose problème – c’est la légitime contrepartie d’une industrie de santé dont les produits répondent à des impératifs de santé publique et font l’objet d’un financement collectif – que l’instabilité du cadre règlementaire. Celui-ci, qui s’était relativement stabilisé dans les années 90, est redevenu imprévisible ces deux dernières années sous le double effet de la conjoncture économique et de l’affaire Mediator. Qui peut savoir aujourd’hui quels seront les prix en 2014 ? Quelle taxation supplémentaire sera inventée au détour d’un amendement parlementaire ? » CQFD.
Pourtant le fameux rapport Gallois insiste sur la nécessité de garantir la pérennité (au moins à moyen terme) des mécanismes et mesures qui déterminent la stratégie des firmes.
Le même rapport Gallois proclame la santé comme secteur d’avenir.
Mais, aucune autre industrie que les industries de santé ne sont soumises à d’aussi forts alea : - loi de financement annuel, - modification incessante des critères d’évaluation de ses produits, - évolution constante de la réglementation, - nombreuses règles à type de jurisprudence et d’interprétation.
Au final, on lamine peu à peu une industrie qui travaille, qui invente, qui produit, qui crée des emplois, et qui rapporte, pour voler au secours d’institutions qui ne sont pas si vertueuses.
Aujourd’hui, en France, force est de constater que dans l’industrie pharmaceutique la morosité s’installe, des entreprises de prestataires ferment, et, chose impensable il y a peu, un chômage durable apparait. L’espérance de meilleurs lendemains s’amenuise.
Il fût un temps où les professeurs présentaient fièrement leurs meilleurs élèves au Concours Général. Mon Dieu que la montagne était belle !
A décharge des décideurs, l’exercice est difficile. La crise financière de 2008 a accéléré les effets de la mondialisation qui touchent d’autant plus les emplois sur le territoire Français que la plupart des acteurs majeurs ou innovants dans le secteur de la santé sont d’origine étrangère. Il fallait y penser plus tôt. Le marché Français est principalement soutenu par une demande dont la solvabilité est financée par l’emploi mais, comme nous perdons des emplois et que l’électeur ne veut pas payer davantage, c’est le serpent se mord la queue. Une spirale insidieuse est née. Il faudra beaucoup de lucidité et de courage aux politiques pour redresser la situation car les peuples ne sont pas naturellement sages. Mais, les faits sont plus têtus que les idées.