Pour rappel, nous passons 90% de notre temps et de notre énergie à pester contre des éléments contre lesquels nous n'avons aucune prise au lieu d'utiliser ce temps sur des éléments sur lesquels nous avons prise.
Râler : « une façon de détourner ses peurs »
INTERVIEW- Pour le Dr Robert Neuburger, le fait de râler est une stratégie permettant de justifier son impuissance à ne pas agir et à faire porter par l'autre son mal être.
Dr Robert Neuburger : «Les récriminations des râleurs sont des stratégies stériles qui n'ont qu'un bénéfice : elles permettent aux râleurs de ne pas se poser les bonnes questions.
Le Dr Robert Neuburger, psychiatre et psychanalyste, vient de publier Exister, le plus intime et fragile des sentiments (Éd. Payot).
LE FIGARO. - Comme psychanalyste, avez-vous souvent à faire à des «patients râleurs»?
Dr Robert NEUBURGER. - Beaucoup! Justement, je supervisais récemment un groupe de psychothérapeutes qui se plaignaient d'être désemparés face à ces hommes qui critiquent sans cesse leur femme mais ne lui parlent jamais directement, vont s'en plaindre à leur collègue, par exemple, ou ceux qui répètent sur le divan que le «monde est nul» sans jamais poser d'actes pour participer à son changement. Les râleurs plongent leur interlocuteur dans un grand sentiment d'impuissance, même leur psy! Car en fait leur revendication vide recouvre une plainte qui ne comporte aucune solution. La parade de l'analyste face à ces critiques stériles, ce peut être de demander «et alors?», et de se retrouver alors face à un silence gêné. Parce qu'en en réalité, et au fond, ce que veulent les râleurs, c'est que rien ne change.
Pourtant, ils s'expriment beaucoup, ne cessent de répéter leur indignation…
Leurs récriminations sont des stratégies stériles qui n'ont qu'un bénéfice: elles permettent aux râleurs de ne pas se poser les bonnes questions, les plus importantes, à savoir: «Quelle est ma place dans le monde? Comment exister vraiment, dans ma dignité, par quels actes concrets?» Râler leur sert aussi à détourner leurs peurs: peur de parler à leur femme et de mettre leur couple en danger, peur de parler à leur patron et de perdre leur travail… D'ailleurs, prendre conscience de ses craintes profondes permet illico d'arrêter les protestations vaines, tout comme se demander ce qu'on pourrait faire si l'on prenait vraiment son problème au sérieux. Enfin, leurs complaintes à répétition leur servent aussi, et c'est essentiel, à culpabiliser leur entourage. Blâmer sans arrêt le monde, les gens, les situations est une façon de dire à celui qu'on inonde de ses griefs: «Prend mon malheur à charge.» Mais contrairement à la culpabilisation «pure» qui cherche à apitoyer l'autre, cette stratégie vise à justifier notre impuissance. C'est une manière de dire à l'autre: «Dis-moi que je ne peux rien y faire, s'il te plaît.»
Comment se comporter alors avec des personnes critiques?
Une histoire hassidique que j'aime beaucoup donne une réponse à cette question. Une femme vient voir un rabbin et lui dit: «Mon mari prie toute la journée, il ne travaille pas, alors que nous avons déjà huit enfants et besoin d'argent. Je n'en peux plus!» Le rabbin lui rétorque alors: «Je comprends, je comprends.» Quelques jours plus tard, un homme arrive et dit au rabbin: «Ma femme me harcèle toute la journée pour que j'aille travailler, mais moi je prie toute la journée parce que je sais que c'est plus important. Comment faire pour la faire taire?» Et le rabbin de répondre: «Je comprends, je comprends.» L'homme s'en va, dépité. C'est alors la femme du rabbin qui surgit dans la pièce et dit à son mari: «Mais quel rabbin tu fais là, vraiment, quel imposteur! Tu redis toujours la même chose à tous tes plaignants! Quel travail!» Et le rabbin, après un temps de silence, de lui répondre: «Je comprends, je comprends.» C'est là, la clé: les râleurs ont simplement besoin d'être écoutés. C'est alors une manière pour eux de se sentir valorisés.