L’agence du médicament renonce à se doter d’un corps d’experts de qualité
L’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) lance un recrutement pour renouveler les experts de ses groupes de travail. Conformément à la loi Bertrand, elle exige de ces nouveaux experts une totale indépendance vis-à-vis de l’industrie du médicament.
Recrutement experts ANSMC’est une très bonne chose. Qu’il soit bien clair que je ne suis pas de ceux qui prétendent que cette indépendance est synonyme d’incompétence.
En revanche, je crois que toute peine mérite salaire, et que ces experts n’ont pas vocation à être bénévoles. Le défraiement proposé aux libéraux couvre à peine la perte de revenu pour la seule présence en réunion, et les salariés sont censés accomplir ces missions en plus de leur travail habituel.
Dans l’ancien système, ce (quasi) bénévolat était la règle, mais cette fonction prestigieuse d’expert sanitaire permettait à une bonne partie d’entre eux de se faire parallèlement rémunérer par l’industrie pharmaceutique, trop heureuse d’avoir un allié dans la place. On sait où ce système nous a mené.
Les experts évincés pour leurs conflits d’intérêts [1] crient haut et fort qu’ils sont seuls à bien connaître leur domaine, que ceux qui ne collaborent pas avec l’industrie ne font pas de recherche et ne connaissent donc pas suffisamment le domaine étudié.
C’est vrai et faux à la fois
Ce qui est vrai, c’est que nous avons, par nos choix politiques, laissé l’industrie pharmaceutique financer l’essentiel de la recherche médicale. Les budgets pour la recherche publique sont misérables en regard de ceux qui émanent de l’industrie. Il est donc quasi inévitable que les chercheurs les plus actifs possèdent de nombreux liens d’intérêts financiers ou même affectifs avec des industriels du médicament.
Ce qui est faux, c’est de croire que cette position de pointe dans la recherche est synonyme de compétence pour prendre des décisions sanitaires ou élaborer des recommandations.
C’est faux car ces liens affectifs ou financiers avec les industriels biaisent l’opinion de ces experts bien plus sûrement que l’inexpérience relative des praticiens occupés à soigner leurs patients plutôt qu’à monter des protocoles de recherche [2].
Les recommandations élaborées par des médecins indépendants sont parfois moins pertinentes sur quelques aspects spécialisés, mais sont plus protectrices pour les patients et pour les comptes de la santé.
Une politique du médicament digne de ce nom aurait voulu que nos institutions sanitaires aillent jusqu’au bout de la réflexion initiée par le scandale du Médiator ou de la vaccination contre la grippe A/H1N1. Dans cette optique, il était nécessaire de valoriser la fonction d’expert indépendant, à la fois par une vraie reconnaissance liée à un statut spécifique, mais aussi par une rémunération à la hauteur de la mission et des enjeux financiers qui l’entourent.
Il est par ailleurs anormal de se priver des connaissances des praticiens chercheurs travaillant avec l’industrie. Ces derniers devraient être auditionnés par les groupes de travail (comme les magistrats auditionnent les experts judiciaires), en se présentant pour ce qu’ils sont : des lobbyistes agissant pour des industries partenaires [3].
Ces mêmes auditions permettraient d’entendre des voix dissidentes émanant des praticiens de terrains ou de la société civile.
En pratique, avec cette cote mal taillée, l’échec est garanti
L’ANSM ne parviendra pas à entretenir un vivier de praticiens indépendants de qualité en se contentant de les défrayer.
L’exclusion brutale des chercheurs lobbyistes, y compris comme sapiteurs [4] extérieurs, aboutira à des décisions contestables et surtout contestées entamant la crédibilité de l’institution.
Mais surtout, l’art de dissimuler ses conflits d’intérêt va se développer à vive allure, permettant à nos lobbyistes de reprendre le contrôle des groupes de travail en quelques années. Je commence à voir des experts notoirement liés à l’industrie qui se déclarent libres de liens d’intérêt. Ils utilisent généralement des montages dignes des "subprimes" ou des sociétés holding luxembourgeoises, en opacifiant le lien pourtant réel entre leurs travaux et le financeur industriel.
Commet trop souvent, l’intérêt des firmes proches des politiques a prévalu sur la santé publique. C’est ce qu’a constaté avec dépit le Sénat devant le massacre de la Loi Bertrand en deuxième lecture par La majorité UMP à ’Assemblée.
C’est d’autant plus rageant qu’une politique de santé ambitieuse en terme d’expertise aurait permis des économies considérables en sus de la protection des patients. C’est donc une double menace qui se concrétise par ce bénévolat à courte vue, à la fois sur la santé publique et sur les comptes sociaux